samedi 18 août 2012

Le petit cordonnier et le tyran (partie 1)



l était une fois… un petit cordonnier dénommé Alvin. Âgé d’à peine une vingtaine d’années, c’était un bon cordonnier, très méticuleux. Il était apprécié de ses clients et voisins, et sa réputation n’était plus à faire. Les souliers et les chaussures fabriqués par Alvin avaient souvent des propriétés surprenantes : parfois utiles, parfois juste amusantes. Il faut préciser que Alvin n’était pas un cordonnier ordinaire… on le disait un peu magicien, et de fait, par sa grand-mère maternelle, le sang des fées coulait dans ses veines. Les traits de son visage, très délicats, ainsi que ses yeux couleur ambre et ses cheveux cendrés semblaient d’ailleurs crier ses origines féeriques. Nombreuses étaient les jeunes femmes du village, et parfois même des dames mariées, qui auraient voulu conquérir le cœur du jeune homme, mais celui-ci semblait ne pas s’intéresser aux manigances de la gent féminine.

Alvin avait repris le commerce de son père, lorsque celui-ci était devenu trop âgé pour ce travail. De sa mère, Alvin savait très peu de choses. On dit les fées très versatiles, et fort peu citadines. A demi fée elle-même, elle n’aimait guère habiter en ville, et passait le plus clair de son temps à voyager, même du vivant du père d’Alvin. Installée dans le petit village de Clochecendre, à une dizaine de lieues de Roquefort capitale du royaume de Roquedur, l’échoppe de notre petit cordonnier était cependant réputée par delà les frontières du royaume. Et de riches étrangers venaient régulièrement de très loin pour commander des souliers spéciaux. A Clochecendre, on raconte qu’un colosse, un ogre disait-on, avait un jour acheté une paire de botte permettant, parait-il, de franchir sept lieues à chaque pas… mais ceci est une autre histoire…


e royaume de Roquedur était dirigé, d’une main de fer dans un gant d’acier, par le vieux tyran Léandre 1er. Avare, paranoïaque, égocentrique, perpétuellement de mauvaise humeur,  et diaboliquement rusé, sa majesté Léandre était à la tête du royaume depuis la mort de son père, le peu mémorable roi Gaspar VI, cinquante et un ans plus tôt. Cinquante et une années qu’il avait mises à profit pour étouffer toute velléité de révolte, et remplir les caisses royales à en faire craquer les coffres. Mais nul n’est éternel, et ce ne sont pas toujours les meilleurs qui doivent partir. En la cinquante et unième année de son règne donc, Léandre eut une attaque. Ses médecins parvinrent à le sauver, on ne sais trop comment, mais sa santé précaire laissait peu de place au doute : les jours du roi étaient désormais comptés !

Ce qui aurait conduit à la tristesse, la résignation, ou peut être même à une certaine sérénité chez le commun des mortels, eut un effet fort différent sur le monarque. Loin de se résigner et de mettre ses affaires en ordre, Léandre entra dans une violente colère en entendant le verdict des médecins.

Les colères de Léandre étaient à la démesure du dictateur, violentes et incontrôlables. Un mot de trop pouvait signer l’arrêt de mort du fautif. Le chancelier Mercurio était bien placé pour le savoir puisqu’il avait hérité de son poste suite à une regrettable erreur de son prédécesseur. Et présentement, c’était lui-même qui était sur la sellette. A la demande du roi, il convoqua tous ses conseillers, mages, astrologues et officiers militaires afin de trouver une solution : rien de moins qu’une alternative à la mort !

Les premiers ne surent que suggérer au roi de se ménager et de déléguer ses fonctions pour se reposer le plus possible. Le roi les fit envoyer presque séance tenante dans les mines de sel du royaume pour tentative de coup d’état. Les seconds suggérèrent au monarque d’absorber une potion contenant un mélange de rosée recueillie la nuit de pleine lune succédant immédiatement à une éclipse solaire, de sang de dragon argenté, de bave de loup-garou et de coriandre (pour le goût). Mais les troisièmes ne pronostiquant aucune éclipse dans les dix années suivantes, la suggestion fut rejetée par le roi d’un tonitruant : « Imbéciles ! ».

Pour ce qui est des officiers militaires, ils semblaient bien se demander ce qu’ils pourraient bien trouver, quand, à cours de propositions, le roi se tourna vers eux. Curieusement, le salut leur vint du plus jeune d’entre eux : un capitaine de la garde récemment promus et âgé d’à peine 25 ans. Guère méchant, un peu candide même, le jeune homme eut pourtant l’idée qui allait sortir ses aînés du mauvais pas où ils se trouvaient.
–Seigneur Léandre, j’ai peut être une idée, commença le jeune homme.
–Je ne savais même pas que j’avais des soldats capables d’en avoir…et laquelle donc est-ce, ton idée ? demanda le souverain, narquois.
–Et bien sire, dans le village d’où je viens, beaucoup de vieillards vivent centenaires et plus que centenaires parfois. Le vieux Mathurin aurait atteint l’âge de cent cinquante trois ans dit-on…
Le roi parut soudain plus attentif.
–Continue, tu m’intéresses là…
–Les raisons exactes en sont mal connues…en fait, les histoires se contredisent sauf sur un point…
–Et lequel ?
–Cette longévité serait directement liée à une tour se trouvant non loin…une vieille tour abandonnée qui aurait appartenu à un puissant mage. Le secret de longue vie viendrait de là…et il s’y trouve sans doute encore.
–Excellent ! Voilà une information utile ! Et…quel est ton nom au fait ?
–Diego Bartolomeo Miguelito Martinez y Miranda de Havreclair.
–…le dernier sorti ferme la porte. Bon, Diego, mon petit Diego, tu vas me prendre une escorte de deux soldats et tu vas te rendre à cette tour, avec pour mission de me ramener le secret de l’immortalité.
–Euh…sire…c'est-à-dire que…
–Oserais-tu désobéir à ton souverain et maître ?
–Non votre altesse, se hâta de répondre le jeune homme. C’est juste que…et bien…je n’y connaît fichtre rien en magie…et…euh, comment dire…outre que je ne saurais pas forcément reconnaître un secret d’immortalité si j’en voyais un, cette tour doit être truffée de pièges magiques contre lesquels je serais totalement impuissant. Mieux vaudrait envoyer un mage…
–Ah oui ? Et dans ce cas, comment les centenaires de ton village s’y seraient pris pour l’avoir ce secret ? Hein ?
–Ils n’ont pas eu à le faire votre altesse, tous sont des descendants, des enfants illégitimes du puissant mage qui vivait là…
¬Le roi pris un air grognon. Se tournant vers son chancelier :
–Y a pas de justice mon bon Mercurio… Ces pèquenots jouissent d’une vie indéfiniment longue parce qu’ils sont les rejetons d’un obscur alchimiste, et moi, qui suis fils de roi, je suis au bord de la tombe alors que j’entre à peine dans la fleur de l’âge !
–Vous devriez vous ménager votre splendeur sérénissime, ça vous prolongerait certainement…et puis, vie longue ou courte, c’est notre lot à tous d’en voir le bout un jour…
–Pas à moi sinistre idiot ! Je suis roi ! Le plus grand que ce pays n’ait jamais eu…et à ce titre, il est inconcevable que la mort m’emporte avant que je ne me sois lassé de la vie ! Au lieu de débiter des lieux communs, vous feriez mieux de trouver une solution pour trouver le secret de longévité dans cette vieille tour moisie !
–Pourquoi ne pas envoyer l’un de vos mages sire ? Tahal par exemple, c’est le meilleur d’entre eux, suggéra le chancelier.
A ces mots, les principaux intéressés blêmirent. Le roi se tourna vers eux, puis se retourna vers son chancelier l’air désabusé.
–Vous pensez franchement que ces demeurés seraient capables de remplir une telle mission ? Allons Mercurio, vous savez aussi bien que moi que je ne les ai engagés à mon service que parce qu’ils sont nuls…ainsi ils ne représentent aucune menace pour moi. Mais pour ce genre de mission, j’ai besoin de gens compétents… Trouvez-moi une solution rapidement Mercurio, ou vous risquez bien de perdre toute utilité pour moi…
Le ton du souverain était lourd de sous-entendus.

Le chancelier avait une fille prénommée Sélène. Ravissante, et dotée d’un esprit pénétrant, elle craignait souvent pour la vie de son père, qui servait un roi si ombrageux et soupe-au-lait. Aussi, le voyant en difficulté, elle prit  timidement la parole.
–J’ai peut-être une solution, dit-elle.
Nombre de personnes présentes la regardèrent avec une lueur d'espoir, tintée d’incrédulité.
Mercurio, Léandre et Tahal sont incrédules.
–Voilà. J’ai entendu parler d’un jeune cordonnier vivant dans le village de Clochecendre, à quelques lieues d’ici, et qui aurait des pouvoirs magiques. Il paraît que beaucoup de ses clients viennent de très loin dans les royaumes voisins pour acheter ses services.
–Un cordonnier magicien hein ?
–Oui votre Altesse, ses talents sont réputés même dans les royaumes voisins.
–Chancelier !
–Oui sire, répondit Mercurio.
–Faites envoyer un messager au cordonnier de Clochecendre. Par ordre de son roi, il doit se rendre à Havreclair pour y quérir le secret de l’immortalité.
–Euh…à vos ordres sire !
Et voici donc comment Alvin le Cordonnier se retrouva mêlé à tout cela.


e chancelier Mercurio interrogea le jeune capitaine pour avoir les détails et rédigea un message à l’attention du jeune artisan, qu’il fit porter prestement par un écuyer royal. Le messager n’eut guère de difficultés pour trouver le jeune homme et lui remettre le message. Pour autant, ce dernier n’eut pas la réaction attendue : au lieu de se réjouir de servir son souverain, ou de craindre son courroux, il se contenta de hausser les épaules et de rendre le message au messager.
–Je n’ai pas le temps pour cela, dit-il. J’ai beaucoup de commandes en attente, et je n’ai pas de temps à consacrer à ce genre de demandes. Mais si le roi le souhaite, je peux l’inscrire en liste d’attente pour des souliers.
Et le messager rentra donc bredouille au palais. A l’annonce de cet inattendu contretemps, Léandre entra dans une rage folle, menaçant la moitié du palais des mines de sel. Mercurio eut beaucoup de mal à le faire se calmer. 
–Nom d’un troll en pantoufle ! Son roi lui donne un ordre et il refuse ? Mais où va le monde, je vous le demande ?
–Votre immensité, intervint Mercurio, peut être devrait-on lui proposer une récompense ?
–Arg ! Que je n’aime pas ce mot… récompense ! Brrr ! A moi, ça me semble obscène… non ? Vous voulez pas qu’on lui file les clés du coffre non plus ?
–Et bien… il y va de votre vie sire.
Le chancelier était sûrement un peu naïf, mais il savait y faire avec son roi.
–Touché. Bon, va pour une… brrr… récompense. Mais pas trop grosse hein ? Faudrait voir à pas grever le budget de l’état… et l’état, c’est moi.
Un nouveau message fut dépêché. Et un nouveau refus essuyé.
–Que ferais-je de cet or ? demanda Alvin. Je ne cherche pas la richesse, mais juste de quoi vivre. Et je vis très bien de mon métier. Merci. Au revoir.
Cette fois, pour Léandre, c’était le pompon.
–Il ne cherche pas la richesse ? Non mais dites moi, oh ! Vous êtes bien sûr qu’il est magicien votre coco là ? Ça ne serait pas plutôt l’idiot du village ? Mais qu’est-ce qu’il veut à la fin ? 
–Et bien, peut être faudrait-il envisager une récompense d’une autre sorte ? Je ne sais pas moi…
–D’une autre sorte ? Qu’est-ce qui peut valoir plus que l’or ? Ah mais oui, j’y suis ! Ce garçon est un de ces idiots romantiques. Et comme tous les romantiques, il veut épouser la princesse comme dans les histoires. Bon, et bien voilà ! Il suffit de lui proposer la main de la princesse ! Je suis génial… Qu’on prépare le messager…
–C’est un plan génial votre grandeur, flatta le chancelier. Il y a cependant un minuscule détail…
–Détail ? Quel détail ?
–Euh, et bien… vous ne vous êtes jamais marié sire, par peur qu’une épouse ne dilapide votre fortune. Du coup, vous n’avez pas de fille. Et donc, il n’y a pas de princesse.
–Pas de princesse ?
–Pas de princesse.
–Ah zut. Pourtant ça semblait être une bonne idée… voyons, on pourrait peut être désigner une princesse, non ? N’importe qui, on s’en fiche, de toutes façons, c’est pour la galerie !
–Mais …
–Tient ! Votre fille Mercurio ! Elle sera parfaite ! Elle semble avoir un certain succès auprès des hommes, elle fera parfaitement l’affaire ! Promulguez un décret de suite et qu’on aille me chercher ce fichu cordonnier, par la force s’il le faut ! 
Quand le décret nommant Sélène princesse fut publié, le roi fit renvoyer une escorte armée à Clochecendre pour en ramener le pauvre cordonnier.

e soldat de 1ère classe Pierpol n’avait rien d’un foudre de guerre. Lui, il s’était plutôt engagé dans l’armée pour avoir la paix. Nourri, logé, blanchi, il n’aspirait qu’à une chose : atteindre la retraite sans trop de bobos. Certes la paye était indigente, mais Léandre 1er craignait fortement de mécontenter ses voisins et de déclencher une guerre susceptible de lui faire perdre son trône et les avantages qui l’accompagnent. De ce fait il s’arrangeait pour entretenir les meilleures relations possibles avec eux. Par conséquent, les chances pour l’armée roquedurienne de se retrouver au combat étaient des plus minces. D’autant que toute opposition à la couronne avait été balayée 20 ans plus tôt.

A l’inverse, le soldat de 2nde classe Poljack s’était engagé pour l’action. Et pour l’uniforme. Ça plait aux filles l’uniforme. Enfin en théorie. Et pour l’action c’est un peu pareil : manifestement, c’était plutôt de la théorie, parce que pour le moment, à part l’entraînement… Plutôt mou l’entraînement d’ailleurs. Du coup là, forcément, une arrestation avec violence potentielle à la clé, ça l’excitait un chouïa le Poljack. Alors que Pierpol, pas du tout. Au contraire même. Il ne cessait d’ailleurs de se répéter qu’il était trop vieux pour ça. Bon, en même temps, comme il était âgé d’à peine 29 ans, on n’y croyait pas vraiment. Nos deux gens d’armes, arrivèrent donc en vue de Clochecendre. Le soldat Pierpol, craignant des ennuis, préféra aviser son compère, et néanmoins subalterne.
–Bon, écoute. Vu que je suis le plus vieux, et le plus gradé, vaut mieux que tu me laisses parler.
–Oh, moi ça me va. La parlotte c’est pas trop mon truc. Je le surveillerai. S’il tente de s’échapper : tchac ! Un coup de hallebarde !
–Oui… enfin bon, tu sais il serait peut être préférable de ne pas trop l’intimider. Si jamais il se sent menacé, qui sait de quoi il est capable ? On dit qu’il est magicien…
–Oui, bah un magicien, ça lance des sorts beaucoup moins bien avec une hallebarde plantée dans le bide !
–Aïe aïe aïe… bon, je vais faire plus simple. On lui demande gentiment de nous suivre. Sans hallebarde dans le bide et sans menaces. C’est un ordre ! Là !
Poljack grommela un peu. Pour une fois qu’un peu d’action se présentait… enfin, les ordres sont les ordres. Vivement qu’il monte en grade.

L’échoppe du cordonnier était très bien située. En plein centre du village, sur la place près de la fontaine. Clochecendre était un petit village rural où il faisait bon vivre. Tous les habitants se connaissaient. Et tout le monde se saluait aimablement. Du coup, les messagers qui se succédaient depuis quelques jours, et les deux soldats qui venaient de débarquer, ça faisait jaser, forcément. Lorsque Pierpol et Poljack arrivèrent à la boutique, Alvin était en train de servir une cliente. Une étrangère manifestement, vêtue d’une robe émettant de petits scintillements. Elle tenait à la main une baguette dégageant parfois quelques étincelles.
Oh! La belle cordonnerie!
–Votre commande est prête, dit Alvin. Ça n’a pas été facile, vos spécifications étaient plutôt particulières, mais je pense que vous devriez être satisfaite.
–On m’a dit le plus grand bien de vous, répondit la cliente d’une voix cristalline. Elle semblait assez âgée, mais avait dû être d’une grande beauté dans sa jeunesse.
Sortant une jolie paire de souliers qui semblaient faits de verre ou de cristal, Alvin demanda :
–Sans indiscrétion, qui vous a parlé de ma cordonnerie ?
–Un chat pour qui vous aviez confectionné une paire de botte l’an passé. Il n’avait pu vous payer à l’époque, étant sans le sou. Vous lui avez demandé de vous faire de la réclame en guise de paiement.
–Ah oui, je me souviens. Les bottes lui vont bien ?
–A la perfection ! C’est devenu quelqu’un d’important maintenant. Et je ne serais pas surprise que vos bottes y soient pour quelque chose, ajouta malicieusement la vieille femme.
–Oh vous savez, je ne fais que mon travail. Consciencieusement. Voilà donc vos souliers de bal en verre. Ça n’est pas une matière que j’ai l’habitude de travailler, c’est pour ça que ça m’a pris du temps. Comme vous me l’avez demandé, ils s’adapteront parfaitement au pied de votre filleule, et ne pourront être portés par personne d’autre après cela. Je n’avais jamais pensé à cette méthode d’antivol. C’est original.
–Ah, excellent. Je savais que vous étiez l’homme qu’il me fallait.
Agitant sa baguette, la cliente fit apparaître une bourse de cuir, apparemment bien garnie, dans une gerbe d’étincelles.
–Voilà pour vous mon garçon ! indiqua la fée dans un grand sourire.
Alvin ouvrit rapidement la bourse.
–Mais… il y a trop ! C’est plus que ce dont nous avions parlé…
–Tatata ! Ne protestez pas. C’est une compensation pour la difficulté du travail demandé. Et puis ça remboursera les bottes de notre ami félin, ajouta-t-elle avec un clin d’œil. Sur ce, je vous prie de m’excuser, mais je suis attendue. Le bal auquel doit participer ma filleule est pour bientôt, et j’ai de la route à faire.
Elle agita à nouveau sa baguette, et s’éleva un instant dans les airs, avant de disparaître au milieu d’une explosion de bulles.
A l’extérieur, les deux soldats semblaient ne pas en mener large.
–Tu as vu ça ? Je t’avais dit que c’était un magicien, dit Pierpol. Il va nous transformer en crapauds si on le mécontente !
–C’était elle la magicienne, protesta faiblement Poljack…
–Mais tu as entendu comme moi ? Il lui a fabriqué des souliers magiques ! Je te dit que lui aussi !
–Peut être, oui bon ! admit le jeune soldat impétueux à contrecœur. On va essayer d’être poli…
C’est donc avec les genoux qui tremblaient un peu que nos deux valeureux soldats pénétrèrent dans la boutique. C’est Pierpol qui prit la parole, d’une voix mal assurée.
–Alvin le cordonnier ? demanda-t-il.
–Et qui d’autre, vêtu en cordonnier, dans la seule cordonnerie du village, répondit Alvin.
–Euh… par ordre de sa majesté Léandre 1er, roi de Roquedur, vous devez nous suivre. S’il vous plait ajouta-t-il, en souriant.
–Euh… comme ça tout de suite ?
–Et bien, euh, oui. C’est à dire que c’est un ordre du roi alors…
–Mais j’ai déjà dit que je n’acceptais pas sa soi-disant mission ! protesta Alvin.
–Ah oui d’accord… Ah ah ah ! Il y a méprise ! ricana Pierpol en transpirant abondamment.
–Je me disais aussi…
–Oui, non… euh, c’est pas pour la mission, c’est pour vos fiançailles avec la princesse, précisa Pierpol en transpirant de plus belle.
–Mes… mes… quoi ?
–Vos… fiançailles, répondit le soldat en déglutissant bruyamment.
Alvin était stupéfait. Il n’avait jamais pensé que les choses iraient dans ce sens.
–Je… vois. Je vous suis messieurs les soldats, dit Alvin, bien décidé à clarifier les choses une bonne fois pour toutes.
Pierpol et Poljack soupirèrent de soulagement. Les choses se passaient mieux qu’ils n’avaient oser l’espérer. C’est pourquoi la surprise fut totale, lorsqu’en sortant de la cordonnerie, il se retrouvèrent tous trois nez à nez avec une foule compacte de villageois. Principalement des femmes. Et quelques hommes qu’elles avaient rameuté en urgence. Avec des fourches aussi. Et qui n’avaient pas l’air aimable. Le regard des deux soldats détailla cette assemblée lentement. Une femme d’une quarantaine d’années s’adressa aux soldats d’un ton qui se voulait tout sauf complaisant.
–Dites donc vous deux ! On peut savoir où vous emmenez notre Alvin ?
–Et bien… euh… par ordre du roi…, commença Pierpol.
–Il doit être fiancé à la princesse ! C’est un ordre royal ! acheva Poljack en serrant sa hallebarde plus fortement qu’à l’habitude.
Des cris, féminins, s’élevèrent de la foule, se muant en rumeur. Des fourches se dressèrent, plus menaçantes. La femme repris la parole.
–La princesse ? Et quelle princesse ? Le roi n’a pas d’enfant !
Pendant que Poljack tentait de compter ses adversaires, Pierpol répondit. 
–Un décret royal a désigné Sélène, la fille du chancelier Mercurio comme princesse et héritière du trône, dit-il.
Et tandis que Poljack concluait qu’au delà de trois personnes ça faisait trop de monde, la populace baissa les armes, abasourdie. Ce fut dans un silence assourdissant, tout juste troublé de quelques gémissements féminins, que les deux militaires escortèrent Alvin jusqu’au palais.

 son arrivée, on le mena prestement devant le roi et sa cour. Sélène était vêtue pour l’occasion d’une robe splendide qui soulignait sans peine sa grande beauté. Mais elle paraissait fort gênée de cette situation. Son père, Mercurio, semblait lui aussi très ennuyé. Encadré par les deux soldats, Alvin s’agenouilla maladroitement devant la cour rassemblée.
–Bien ! dit Léandre. Cordonnier, voici la princesse Sélène. Ramenez-moi le secret de longue vie qui se trouve à Havreclair, et je vous donnerai sa main.
–Votre altesse, répondit Alvin mal à l’aise, je ne suis qu’un simple cordonnier qui aspire à exercer son métier en paix. Je ne cherche pas d’épouse, je ne suis pas un aventurier et…
Alvin s’interrompit. L’expression du souverain se faisait menaçante, et son visage commençait à devenir rouge de colère.
–Mercurio, votre idée de princesse était stupide ! Je vais… commença-t-il avec un ton menaçant.
Une princesse low-cost
Pressentant une menace directe sur la vie de son père, Sélène ne pris pas le temps de réfléchir, elle se leva et se précipita vers le jeune cordonnier.
–Gentil cordonnier, je vous en supplie ! Acceptez cette quête de bonne grâce, et ramenez le secret de longue vie au roi ! Si vous faites cela, sachez que je serai heureuse de devenir votre épouse dévouée !
Elle avait dit cela avec un regard suppliant que peinait à dissimuler un sourire charmeur. Alvin n’eut pas le temps prononcer un seul mot, que Sélène le serrait dans ses bras en murmurant à son oreille :
–Je vous en prie, acceptez ! Il en va de la vie de mon père, sans doute de la vôtre, et peut-être même de la mienne ! Le chancelier est un brave homme, il ne mérite pas d’être châtié à cause de la colère du roi !
Alvin se sentit fondre. Le parfum de la jeune femme était enivrant, sa voix d’une grande douceur et ses yeux tristes pétillaient d’intelligence. Elle poursuivit à voix haute.
–Je vous accompagnerai messire cordonnier. Et ainsi, au nom du roi, je serai la garante du respect des termes de votre marché.
Le cœur serré et la gorge nouée, Alvin accepta en balbutiant. Même le roi ne put s’empêcher d’être admiratif.
–Bravo princesse Sélène ! Vous avez su réussir à convaincre ce jeune entêté. Je vous laisse six jours pour accomplir cette quête. Pas un de plus, ou l’accord ne tiendra plus, et il aura des conséquences… néfastes.
Le ton du roi était de nouveau lourd de menaces. Sélène fronça les sourcils : le délai était bien court pour accomplir la prouesse demandée. Se tournant vers Alvin, le roi poursuivit.
–Vous serez accompagné du capitaine Diego…euh… Machin-Chouette, qui est de la région, et de mon mage Tahal, qui maintiendra la communication avec moi. Je vous adjoint également les deux soldats qui vous ont escorté ici, pour vous prêter main forte en cas de grabuge. Et puisque la princesse en a émis l’idée, elle vous accompagnera donc. Préparez-vous à partir au plus vite, le compte à rebours commence dès à présent.

n peu plus tard, dans le secret de son bureau, le roi Léandre reçu le mage Tahal, le plus gradé de ses magiciens. Comme tous ceux qui servaient le roi, ce dernier n’était guère compétent ni intelligent, mais il avait l’immense mérite d’être totalement fidèle à son souverain.
–Mon brave Tahal, lui dit-il, vous allez m’écouter attentivement…
–Je suis toute ouïe, sire.
–Je n’ai aucune confiance dans ce gringalet qui va accomplir cette mission. Et pour tout dire, je n’en ai guère plus dans cette gamine : elle est trop maligne. Elle a réussi à se faire nommer princesse. Qui nous dit qu’elle ne va pas tenter d’en profiter pour me voler mon trône ?
–Ah ! La traitresse, s’exclama le mage.
–Bon. Je vois que nous sommes d’accord. Vous allez les accompagner Tahal. Officiellement, pour maintenir la communication avec moi, et officieusement, je vous charge d’un travail : une fois que vous aurez trouvé le secret de l’immortalité, vous me le ramenez, et vous vous débarrassez de ces deux parasites. De façon… définitive.
–Comptez sur moi, sire !

(a suivre...)

Post scriptum : cette histoire étant un peu longue, j'ai choisi de la publier en trois articles. Ceci également pour permettre à D.Syne d'avoir le temps de réaliser quelques dessins. La suite étant déjà écrite et corrigée, les articles suivants ne tarderont guère... (sinon, vous pouvez aller troller D.Syne qui flemmarde trop pour ses illustrations).

1 commentaire:

  1. Bon début! Excellentes références à quelques contes ; le Taj, euh, le mage Tahal ; les surprenants refus du petit cordonnier ; la princesse low-cost ^^, et j'en oublie sûrement.
    Seul "défaut", c'est effectivement très long (mais il faut de la marge en cas d'endormissement tardif, c'est pas faux)

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